ARCHITECTE EN LIEU, ARTISTE EN MOBILIER
Oublier les plinthes, revenir à la plainte
Des stocks de pâtes, des boites de conserves, moutarde et confiture en bocaux mais aussi du sucre occupaient l’espace du VOG jadis, quand en resto du cœur il officiait pour ceux qui manquent.
Vider les placards, casser les cloisons, dissimuler des portes, renoncer au damier du sol, noyer les tuyaux de chauffage, encastrer les éclairages, supprimer les plinthes, gommer les raccords de panneaux muraux, encloisonner l’escalier, ne plus trouver le wc … tout peindre de blanc, pour l’essentiel.
Offrir un écran vierge aux artistes, trouver un nom, le VOG, en écho au cinéma de quartier qui existait dans la rue, oui, un nouveau film commence en 2004 à Fontaine.
Je suis architecte, j’ai conçu et suivi les travaux de ce lieu.
J’y ai pratiqué la transformation joyeuse, l’effacement des encombrants du bâtiment et le renoncement libérateur du geste de l’architecte. Travailler une utilité épurée et efficace dans la totale ignorance de ma plainte intérieure, celle de l’artiste de trop.
20 ans de fabulations puis 20 ans d’oubli dans divers constructions, enfin aujourd’hui, j’entends, je mute et secoue l’artiste en travaillant les objets. Comme je l’ai fait avec les lieux, je m’intéresse aux choses, mais celles qui s’entassent, les démodées, les délaissées, les datées, les kitchs et les ringardes.
J’écoute leur plainte et accompagne leur transformation voir leur hybridation en les enrobant de mètres linéaires de bretelles de dessous féminins.
Douce, colorée, élastique, elle offre une matière idéale à la création du cocon, celui qui arrondit les angles, grossit les formes, amorti les chocs, dissimule et relie pour un meilleur à venir.
Je suis artiste, j’ai conçu et réalisé un meuble pour ce lieu, un banc de centre d’art.
Des chaises de seconde main, 400ml de ruban, du bleu qu’on n’oublie pas, pour une œuvre sur laquelle on s’assoit pour contempler d’autres œuvres. Utile, elle est prête à tout, jusqu’à accueillir des postérieurs pour ne pas se sentir de trop.
J’imagine un jour où je meublerais cet espace muet d’apparence mais conforme en plan au classique 3 pièces/cuisine. Un appartement témoin avec son mobilier d’exposition, toutes vitrines dehors et bretelles dedans.
Ô fabule !
EXTRAIT CATALOGUE REGARD DEVOILE
Centre d’art Le Vog , Fontaine 38, 2015, Exposition collective 10 ans – https://levog-fontaine.eu/
Yannick Siegel